Histoire du mètre
Des débuts de l'ère chrétienne à nos jours : histoire d'une unité de mesure.
Par Denis Février
Les anciennes mesures de France
Jusqu'à la fin du 18ème siècle, les mesures étaient d'une extrême diversité. Des mesures de même nature et de valeurs voisines avaient des appellations différentes selon les provinces, voire les villes ou les villages d'une même région. A l'inverse, le contenu physique de mesures de même nom différait en général selon les lieux et aussi selon la corporation intéressée ou l'objet mesuré.
Une certaine uniformité avait régné au début de l'ère chrétienne, lorsque le pied et la livre de Rome se sont largement répandus en Europe. Mais l'extrême morcellement du territoire devenu depuis, la France, où le pouvoir était alors partagé entre un nombre considérable de seigneurs et de villes, a favorisé une évolution en vase clos des noms et des valeurs des mesures. Il s'était ainsi formé, au sein de chaque groupe humain, collectivité territoriale ou corporative, un système de mesures approprié aux besoins du groupe, système souvent homogène si on se plaçait du seul point de vue du lieu ou du métier. Néanmoins, l'ensemble des mesures alors en usage en France peut être considéré comme un chaos informe.
De nombreux projets d'unification se heurtèrent ainsi aux résistances locales : Charles le Chauve (Edit de Pitres en 864), Louis le Hutin, Philippe le Long, Edits de François 1er sur l'aunage en 1540-1545, d'Henri II en 1557, " Suppliques des Etats généraux " en 1560, 1576, 1614, projets de Henri IV, puis de Colbert, tentatives de Laverdy en 1764, de Trudaine, de Marigny en 1766.
Les noms des anciennes mesures étaient, dans toutes leurs variantes, souvent très imagés, et attachés soit aux dimensions de l'homme (pied, pouce,...), soit à ses aptitudes (journal : étendue de terre travaillée en un jour, galopin : quantité (variable !) de vin que l'on peut boire pendant un repas ...) ou à des facteurs naturels (picotin : ration d'un cheval (3,2 L d'avoine),...). Quoiqu'il en soit, au XVIIIème siècle, la multiplicité des mesures n'ayant entre elles aucun facteur commun était extrêmement génante, notamment dans les activités administratives, commerciales et scientifiques.
De 1668 à 1776, l'étalon prototype royal de longueur était la Toise du Châtelet fixée à l'extérieur du Grand Châtelet, détruit en 1802. Pour les poids, l'étalon était la pile, dite de Charlemagne, fabriquée vers le dernier tiers du 15ème siècle à partir d'étalons remontant à Charlemagne suivant la légende, composée de 13 poids à godets en cuivre qui s'emboîtent ; le plus petit est plein et les 12 autres creux (le plus grand, constituant la boîte avec couvercle et poignée) pesant en tout 50 marcs ou 25 livres. Il s'agit d'un tronc de cône (hauteur 9 cm) évasé vers le haut, de bases circulaires (supérieure : diamètre 15,5 cm, inférieure : 14 cm).
La " livre poids de marc " (0,4895 kg) correspond au 1/25 de l'étalon pesant 50 marcs, soit 12,2377 kg (le marc servant pour fixer le poids des monnaies et les transactions sur les métaux précieux). La pile a servi à déterminer la valeur des étalons provisoire (1795) et définitif (1799) du kilogramme. Cette pile est conservée au musée des Arts et métiers à Paris.L'étalon primitif de longueur, qui aurait daté de Charlemagne (?), s'était trouvé déformé au cours du premiers tiers du XVIIème siècle par un affaissement du pilier qui le portait ; il a été remplacé en 1668 par un nouvel étalon, qu'on fit d'ailleurs de 5 lignes (11 mm) plus court que le précédent afin de corriger la déformation de celui-ci. La nouvelle Toise du Châtelet était, comme la précédente, constituée par une barre de fer, terminée par deux redans dont la distance déterminait la longueur de la Toise.
C'est sur cet étalon de 1668, que furent ajustées en 1735 deux toises (fabriquées par C.Langlois, ingénieur du Roi pour les instruments d'astronomie) utilisées pour la mesure d'arcs de méridien, l'une employée à l'équateur (de 1736 à 1744) par Charles - Marie de La Condamine, Pierre Bouguer (professeur d'hydrographie), Joseph Jussieu (botaniste), Louis Godin des Odonais, de l'Observatoire de Paris, Verguin (ingénieur de la marine royale), appelée plus tard toise du Pérou, l'autre employée en Laponie (de 1736 à 1738) par Pierre - Louis de Maupertuis, Alexis Clairaut, Charles Camus, Pierre - Charles Le Monnier, l'abbé Reginald Outhier, dénommée plus tard, toise du Nord.
Au Pérou, les explorateurs mesurèrent dans des conditions extrêmes une étendue de 80 lieues équivalant à 3 degrés de méridien. Bouguer retourna en France ; Godin retenu à Lima devint cosmographe du Roi d'Espagne et se maria. Jussieu resta à Quito pour soigner la population. La Condamine resta plusieurs années à Quito pour se livrer à des observations d'astronomie puis entreprit la descente de l'Amazone du 11 mai 1743 au 26 février 1744 (à Cayenne). Il rapportait les premiers essais de l'inoculation, des plants de Quina et un produit appelé à un avenir tout aussi extraordinaire, le caoutchouc. Il rentra à Paris en janvier 1745. Bouguer et la Condamine se disputèrent la paternité des découvertes…Godin séparé de sa femme par le tremblement de terre de Lima dut l'attendre à Cayenne ; Elle se mit en route d'abord escortée par des indiens avec ses frères et quelques fidèles, puis seule en radeau ou à travers la forêt vierge, elle parvint à la mission de la Laguna où deux indiens la transportèrent en pirogue à Cayenne après avoir parcouru 5000 km
Cependant, la Toise du Châtelet, ne méritait pas une grande confiance car sa fabrication avait été assez rudimentaire, et elle était exposée aux chocs et à l'usure. Aussi, La Condamine proposa en 1747 d'adopter comme étalon prototype la Toise du Pérou (déposée au cabinet de l'Académie des Sciences au Louvre, puis conservée à l'Observatoire de Paris).
Le 16 mai 1766, Louis XV approuva cette proposition et chargea Tillet de l'Académie des Sciences, de faire exécuter 80 copies de cette toise, devenue Toise de l'Académie pour être envoyées aux procureurs généraux des Parlements.
C'est la longueur déterminée par la Toise de l'Académie qui a été utilisée pour définir le mètre provisoire en 1795 et le mètre définitif en 1799.
Rappelons que pour vérifier une mesure (de longueur), on l'introduisait entre les talons (de l'étalon), dont on usait lentement les faces internes. Il en résultait un allongement progressif de la distance séparant ces faces, c'est à dire de l'étalon lui-même. Cet allongement avait incité les savants à chercher un étalon dans la Nature : ainsi serait-il possible d'en retrouver en permanence et sans difficulté la valeur. Ils refusaient donc la solution que plusieurs rois (Philippe Le Bel, Philippe Le Long, Louis XI, Louis XII, François Ier, Henri II, Louis XIV) et conseillers de la Couronne avaient, en vain, tenté de faire appliquer : rendre les unités de Paris obligatoires sur la totalité du pays. Parmi les précurseurs, peuvent être cités :
- Simon Stévin ( inspecteur des digues au Pays-Bas) qui en 1585, exposa dans "la Disme" les avantages de la subdivision décimale des unités.
- L' astronome et abbé Jean Picard (1620-1682), qui participa à la restauration de la toise du Châtelet en 1668, mesura en 1669-1670 par triangulation l'arc de méridien séparant Sourdon au sud d'Amiens de Malvoisine au sud de Paris (150 km), et proposa de prendre comme étalon la longueur du pendule battant la seconde.
- L'abbé Gabriel Mouton (1618-1694) qui suggéra en 1670 d'adopter comme unité de longueur la virga, millième partie de l'arc du méridien correspondant à une minute.
- Tito Livio Burattini (savant Italien), qui appelle "metro cattolico" (in Misura Universale, 1675) la longueur du pendule battant la seconde, donnant ainsi, bien avant Borda, le nom de "mètre" à une unité .
Création du système métrique
En 1789, la plupart des cahiers de doléances demandent l'uniformisation des poids et mesures : l'incohérence et la multiplicité des anciens systèmes sont l'ouvre de la féodalité. L'instauration d'un système de poids et mesures unique à travers tout le pays fut immédiatement perçue par l'Assemblée Nationale Constituante comme un moyen puissant d'unifier la nation. De plus, suivant en cela l'esprit d'universalité développé par la philosophie du XVIIIème siècle, cette Assemblée souhaitait que ce nouveau système de poids et mesures puisse être adopté par tous les pays et soit tellement parfait qu'il ait une valeur éternelle : "à tous les temps, à tous les peuples", telle était la devise,qui guida l'Assemblée dans ses travaux. Pour cela, il fallait que le nouveau système de poids et mesures soit basé sur une unité ayant un caractère universel qui ne puisse être remis en question par aucun peuple de la terre et que cette unité soit déterminée avec suffisament de précision pour qu'elle reste valable dans les temps à venir.
Le 9 mars 1790, l'évêque d'Autun, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), reprenant une proposition de l'abbé Mouton en 1670 puis de Christiaan Huygens, propose de créer un nouveau système de mesures (stable, uniforme et simple), fondé sur la longueur du pendule simple battant la seconde à la latitude de 45°.
(Notons que le pendule battant la seconde à Paris, à une longueur de 440,5593 lignes de la toise du Pérou, soit 993,8263 mm).
Le 8 mai 1790, l'Assemblée Nationale adopte le principe de l'uniformisation des poids et mesures. L'unité de base choisie est le pendule battant la seconde. Des délégués sont envoyés en Espagne, en Angleterre, et aux États-Unis, afin de fixer définitivement l'unité avec les gouvernements de ces pays. Charles de Borda, Lavoisier, Tillet et Condorcet composent la commission chargée de déterminer ce système de mesure.
L'Angleterre et les États-Unis d'abord favorables au pendule changent d'avis à la fin de 1790. Une nouvelle commission (à laquelle appartiennent désormais Laplace et Monge) préconise alors la mesure de l'arc terrestre (opération semblant plus facile et plus universelle) . Le 19 mars 1791, l'Académie des Sciences propose donc:
- la division décimale pour les poids, les mesures et les monnaies
- la mesure de la grandeur du quart du méridien terrestre plutôt que la longueur du pendule qui faisait intervenir le temps et l'intensité de la pesanteur.
Le choix du système de mesure
Le 26 mars 1791, Condorcet lut aux députés à la salle du Manège une lettre par laquelle la France, en tant qu'initiatrice et réalisatrice d'un magnifique projet métrologique fait don à la postérité et aux autres nations de ses intérêts particuliers. La France des Lumières donnait au nouveau pacte métrologique son ampleur philosophique, scientifique, politique et géographique:
« L'Académie des sciences m'a chargé d'avoir l'honneur de vous présenter un rapport sur le choix d'une unité de mesure. Comme les opérations nécessaires pour la déterminer ensuite demanderont du temps, elle a cru devoir commencer son travail par cette question, et la séparer de toutes les autres. L'opération qu'elle a proposée est la plus grande qui ait été faite et elle ne peut qu'honorer la nation qui en ordonnera l'exécution. L'Académie a cherché à exclure toute condition arbitraire, tout ce qui pourrait faire soupçonner l'influence d'un intérêt particulier à la France, ou d'une prévention nationale ; elle a voulu en un mot que si les principes et les détails de cette opération pouvaient seuls passer à la postérité, il fût impossible de deviner par quelle nation elle a été exécutée. L'opération de la réduction des mesures à l'uniformité est d'une utilité si grande; il est si important de choisir un système qui puisse convenir à tous les peuples ; le succès de l'opération dépend à un tel point de la généralité des bases sur lesquelles ce système s'appuie, que l'Académie n'a pas jugé pouvoir s'en rapporter aux mesures déjà faites, ni se contenter de la simple observation du pendule ;elle a senti que travaillant pour une nation puissante, par les ordres des hommes éclairés, et embrassant dans leurs vues tous les hommes et tous les siècles, elle devait s'occuper moins de ce qui serait facile, que de ce qui approcherait le plus de la perfection, elle a cru enfin,qu'une grande opération qui annoncerait le zèle éclairé de l'Assemblée nationale pour l'accroissement des lumières et le progrès et la fraternité des peuples, ne serait pas indigne d'être accueillie par elle. »
Le 26 mars 1791, l'Assemblée (La Constituante) décrète :
«Considérant que, pour parvenir à établir l'uniformité des poids et mesures, il est nécessaire de fixer une unité de mesure naturelle et invariable et que le seul moyen d'étendre cette uniformité aux nations étrangères et de les engager à convenir d'un système de mesure est de choisir une unité qui ne renferme rien d'arbitraire ni de particulier à la situation d'aucun peuple sur le globe.... adopte la grandeur du quart du méridien terrestre pour base du nouveau système de mesures qui sera décimal ; les opérations nécessaires pour déterminer cette base, notamment la mesure d'un arc de méridien depuis Dunkerque jusqu'à Barcelone seront incessamment exécutées ».
Jean-Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) (aidé par Lefrançais -Lalande et Belletet) et Pierre Méchain (1744-1804) (aidé par Tranchot), astronomes, vont se charger de la mesure de l'arc du méridien par triangulation, méthode véritablement inventée par le hollandais Willebrord Snellius (1580-1626) au début du XVIIème siècle : il suffit de jalonner le méridien par un réseau de points constituant des triangles juxtaposés, deux triangles successifs ayant un côté commun, et de déterminer uniquement par des visées les angles de ces triangles.
La première triangulation est effectuée entre Alkmaar et Bergen - op -Zoom, dont les résultats sont publiés en 1617 dans l'ouvrage : Eratosthenus Batavus. De terrae ambitus vera quantitae (l'Eratosthène Néerlandais. Sur la véritable circonférence de la Terre). La mesure réelle d'un seul des côtés de l'un des triangles (la base) permet d'obtenir par le calcul la longueur de tous les autres, et par projection, d'obtenir la distance sur terre, au niveau de la mer, entre les points extrêmes. Il s'agit d'une combinaison de mesures géodésiques, d'arpentage et de mesures astronomiques.
La méthode de mesure des grandes distances couramment utilisée sur le terrain fut imaginée par le Hollandais Snellius au début du XVIIème siècle. Elle consiste à construire sur une carte une succession de triangles reliant entre eux des points remarquables (clochers, tours, points culminants sur lesquels on construit si nécessaire des signaux géodésiques). On choisit au départ un côté AB de l'un de ces triangles de telle façon que sa mesure sur le terrain soit facile, par reports successifs d'une règle ou des extrémités d'un ruban étalonné, sur une surface plane et horizontale. A partir de cette base AB, on mesure les angles aux sommets du premier triangle ABC en visant les deux autres sommets depuis chacun des sommets A ou B ou C. Les longueurs des côtés AC et BC se déduisent, par des calculs trigonométriques, de la longueur mesurée AB. Les côtés AC ou BC servent ensuite de base pour mesurer de nouveaux triangles, et ainsi de suite. La difficulté de l'opération consiste surtout à repérer à l'avance les points successifs A, B, C, D… d'où l'on doit pouvoir chaque fois mesurer avec précision les angles des triangles successifs. Il faut de plus tenir compte des différences d'altitude, que l'on mesure par les écarts des visées par rapport à l'horizontale. Le principal intérêt de cette méthode est de permettre des mesures sur des trajets qui franchissent des accidents de terrain. Un avantage supplémentaire est donné par l'addition des trois angles d'un même triangle, qui devrait donner 180° sur une surface plane. En raison de la sphéricité approximative de la terre, cette somme est légèrement supérieure à 180°, la différence est calculable et donne une vérification précieuse de l'exactitude des mesures. Pour mesurer la longueur d'un arc de méridien, il faut ajouter à ces mesures de distance quelques mesures astronomiques. La direction du méridien et la latitude d'un lieu sont donnés par la direction et la hauteur du soleil à midi (heure solaire). Il faut tenir compte de multiples corrections bien connues des astronomes pour faire des mesures exactes. Les mesures successives des différences d'altitude et de l'orientation des côtés des triangles permettent de projeter la succession des triangles sur un méridien connu au niveau de la mer.
Notons qu'entre 721 et 726, en Chine, le Moine astronome chinois Yi-Hsing avait déjà mesuré un fragment de méridien et que le père Antoine Thomas (1644-1709) et un fils de l'empereur (Yin-Chih) déterminèrent la mesure du degré de méridien (111km) en 1702 (soit 195 li (1li vaut 550 m) et 6 pu)
Deux bases de référence d'environ 6000 toises (11,7 km) sont utilisées : l'une entre Melun et Lieusaint : 6075,90 toises du Pérou soit 11 842,151 m, et l'autre entre Vernet et Salses (près de Perpignan) : 6005,25 toises soit 11 704,452 m .
Les mesures vont durer, en fait, de 1792 à 1798 !
L'entreprise scientifique elle-même suscite quelques critiques : d'une part l'arc effectivement mesuré ne représente qu'un dixième environ du quart du méridien et il faut extrapoler pour connaître la longueur totale et d'autre part la même mesure a déjà été faite en 1701, puis en 1739 par Cassini, père et fils. C'est la question posée par Louis XVI, qui aime la géographie, le 19 juin 1791 (la veille du jour de la fuite à Varennes) aux académiciens. Cassini répond que son père et son aïeul se sont servis d'instruments qui ne donnaient la mesure des angles qu'à quinze secondes près alors que le nouvel instrument inventé par Borda donne une précision d'une seconde.
Après bien des péripéties, les " cercles répétiteurs " (cercle de réflexion permettant la détermination d'un angle entre deux visées) de Borda et Lenoir, sont fabriqués en mai 1792. Méchain effectuera les relevés de Barcelone à Rodez, et Delambre de Dunkerque à Rodez. Plus de cent triangles, formant une chaîne ininterrompue, seront ainsi mesurés . Cette mesure s'étendra sur 1075 km (551584 toises du Pérou) et correspondra à 9°40' d'arc de méridien. Méchain mesurera 170 000 toises et Delambre 380 000.
La suppression de l'Académie le 8 août 1793, la guerre contre l'Espagne (déclarée le 7 mars 1793), gênent considérablement les travaux des astronomes.
Le système provisoire
La Convention n'attend pas la fin des travaux : utilisant les résultats des mesures effectuées en 1735 au Pérou par La Condamine, en Laponie par Maupertuis et en 1740 de Dunkerque à Perpignan par Cassini, elle adopte, pressée par le temps, un système provisoire ( loi du 1er août 1793) :
Le nouveau système des poids et mesures, fondé sur la mesure du méridien de la terre et la division décimale, servira dans toute la République.
L'unité de mesure linéaire : dix millionième partie du quart du méridien terrestre est appelé "mètre", nom adopté par Borda (donné par Auguste Savinien Leblond), (du grec metron : mesure) et vaut 3 pieds 11,44 lignes de Paris (soit la fraction 0,513 243 de l'étalon Toise de l'Académie, ancienne Toise du Pérou )
L'unité de poids sera la masse, baptisée à l'origine grave, (du latin gravis : lourd) d'un décimètre cube d'eau distillée à la température de la glace fondante.
En octobre 1793, les premiers modèles métriques sont présentés à la Convention
Le 12 germinal an II (1er avril 1794), la Convention publie une "Instruction sur les mesures de la grandeur de la terre, uniformes pour toute la République et sur les calculs relatifs à leur division décimale".
Après une période troublée, novembre 1793-mai 1795, les astronomes qui avaient interrompu leurs travaux et s'étaient cachés pour échapper à la Terreur, reprennent leurs visées.
Le système métrique décimal
La loi du 18 germinal an III (7 avril 1795), loi constitutive du système métrique décimal, précise (art. 2): " qu'il n'y aura qu'un seul étalon des poids et mesures pour toute la République ; ce sera une règle de platine sur laquelle sera tracé le mètre qui a été adopté pour l'unité fondamentale de tout le système des mesures ".
En messidor an III ( juillet 1795), un mètre étalon provisoire en laiton fabriqué par Lenoir, vérifié par Borda et Brisson, fut remis au Comité d'Instruction Publique.
La loi du 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795) prévoit l'échange des aunes contre des mètres pour les marchands parisiens. Elle ajoute à la loi du 18 germinal an III que les municipalités et les administrations chargées de la police feront plusieurs fois par an des visites dans les boutiques, magasins, places publiques, foires, marchés, pour s'assurer de l'exactitude des poids et mesures.
Les efforts pour la diffusion sont également faits dans les écoles, les instituteurs sont chargés d'enseigner le nouveau système à leurs élèves, auprès des administrateurs des départements pour qu'ils insistent sur la fabrication, l'inventaire des besoins, les tables de comparaison, la propagande dans les écoles.
En 1796 et 1797, Méchain opère à Perpignan et Carcassonne ; Delambre à Dunkerque et Bourges.
Des mètres étalons (provisoires) sont disposés dans les lieux publics publics entre février 1796 et décembre 1797. Ils seront conçus par Chalgrin (le futur architecte de l'Arc de Triomphe) et fabriqués par le sculpteur - marbrier Corbel. Ces mètres se réfèrent donc aux mesures de la Méridienne effectuées précédemment par Nicolas Louis de la Caille : il reste encore à Paris deux mètres en marbre visibles sur les 16 installés, 36 rue Vaugirard et 13 place Vendôme. D'autres en fer sont visibles à Lyon (cour intérieure de l'Hôtel de Ville), Agde (entrée de l'ancienne mairie), Montauban (pilier de la place Nationale), Marvejols (mur de l'ancienne Halle).
Les difficultés s'accumulent pour Méchain (maladie, signaux endommagés, intempéries,.) !
En 1798, Delambre mesure la base Melun-Lieusaint (du 24 avril au 3 juin), puis achève les travaux entrepris par Méchain, sur la base Perpignan -Salses (du 28 juillet au 17 septembre).
Le 14 novembre 1798, les deux astronomes rejoignent Paris, tous leurs relevés enfin effectués.
En Prairial an VI (juin 1798), Talleyrand, à la demande de l'Institut National, invite les nations alliées et neutres à participer à la détermination des étalons définitifs.
Les mesures de l'arc du méridien par Delambre et Méchain,conduisent à fixer pour le mètre définitif "une longueur de 3 pieds 11,296 lignes de la Toise de l'Académie" (soit la fraction 0,513 074 de l'étalon Toise de l'Académie).
Le kilogramme définitif est la masse d'un décimètre cube d'eau distillée désormais à son maximum de densité, soit 4°C. Ce poids fut trouvé égal à 18827,15 grains du marc moyen de la Pile de Charlemagne.
Les unités sont enfin liées entre elles par des rapports simples et devenus décimaux.
Le 4 messidor an VII (22 juin 1799), les étalons prototypes définitifs en platine du mètre et du kilogramme sont présentés au Conseil des Cinq-Cents, puis au Conseil des Anciens, par une délégation composée de savants étrangers et des membres restant de la commission des Poids et Mesures de l'Institut national Les étalons sont ensuite remis à Camus, garde des Archives de la République, qui les enferme dans une double armoire en fer fermée par 4 clefs, d'où leur nom : " Mètre et Kilogramme des Archives ". Le mètre est (alors) une règle plate de section rectangulaire, étalon à bouts.
L'arrêté du Ier vendémiaire an 12 (24 septembre 1803) prescrivant leur dépôt à l'Observatoire national, sous la surveillance du Bureau des longitudes, ne sera pas exécuté.
La loi du 19 frimaire an VIII (10 décembre 1799) les consacre comme " étalons définitifs des mesures de longueur et de poids dans toute la République".
C'est donc de la longueur de la toise à bouts du Pérou que sera déduite celle du mètre. De plus, d'une part la valeur provisoire donnée au mètre en 1793 provient de l'emploi par Cassini et Lacaille d'une toise copiée certes sur celle du Pérou, mais dont on ne sait rien et d'autre part, en 1799, pour déterminer l'aplatissement de la Terre, la Commission des poids et mesures combinera deux valeurs de la longueur du degré obtenues l'une en France avec la Toise à bouts et l'autre à l'équateur avec la toise à points.
Le poinçon de la République doit être apposé sur les mesures neuves. Cette prescription est ordonnée aux vérificateurs par les lois du 18 germinal an III et 1er vendémiaire an IV. Ces poinçons ont dû être renouvelés à chaque changement de régime. Après les lettres RF liées, l'illustration des poinçons deviendra une Liberté, une République, un fléau de balance, une abeille, un aigle, trois ou une fleur de lys, une couronne royale. Ce n'est qu'en 1849 que la marque "à la bonne foi" fait son apparition sous la forme d'une poignée de mains . Elle a été employée jusqu'au début du second Empire. A la suite de contrefaçons, une circulaire du 20 décembre 1861 ordonne que ce symbole soit remplacé par " d'autres ayant pour sujet la couronne impériale ". Finalement, le 1er mars 1873 une circulaire impose définitivement les poinçons " à la bonne foi " puisque ce symbole est toujours gravé de nos jours sur les poids et mesures, lors de leur vérification.
Pour la vérification périodique, ce sont les lettres de l'alphabet, majuscules d'imprimerie, qui sont utilisées, en commençant par la lettre A à Paris en 1802. Elle fut réglementée par circulaire réglementaire du 23 août 1806 pour toute la France ; pour 1806, ce fut la lettre E.
Les mésaventures du système métrique (1800-1839)
Souhaitant donner une nouvelle impulsion à la diffusion du système métrique, le gouvernement prescrivit, par un arrêté du 13 brumaire an IX (4 novembre 1800) : "le système décimal des poids et mesures sera définitivement mis à exécution pour toute la République, à compter du 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801)" ... et l'arrêté ajoutait :
« pour faciliter cette exécution, les dénominations données aux poids et mesures pourront dans les actes publics, comme dans les usages habituels, être traduites par les noms français qui suivent...»
Le kilogramme pouvait ainsi s'appeler la Livre
Le centimètre pouvait ainsi s'appeler le doigt
Le litre pouvait ainsi s'appeler la pinte .
Par ce retour au vocabulaire traditionnel, le gouvernement espérait familiariser plus facilement les usagers avec le nouveau système...mais le nom ancien, ainsi repris désignait maintenant une quantité différente de celle à laquelle il correspondait dans le passé.
Les tolérances d'appellations admises par l'arrêté du 13 brumaire an IX étaient ainsi des sources constantes de confusion et de fraudes. Cette situation devait durer jusqu'en 1812. Elle se dégrada encore par le décret impérial du 12 février 1812.
Le 12 février 1812, est autorisé l'abandon de la division décimale et le retour aux subdivisions anciennes, par un décret qui précise :
« Il ne sera fait aucun changement aux unités des poids et mesures de la France, mais il sera confectionné pour l'usage du commerce, des instruments de pesage et de mesurage qui présentent soit les fractions, soit les multiples desdites unités les plus en usage dans le commerce et accommodés aux besoins du peuple ».
Les textes d'applications (arrêté et circulaire du 28 mars et suivants) insistent sur le fait que "ces dispositions n'étant relatives qu'à l'emploi des mesures et des poids dans le commerce de détail et dans les usages journaliers, les mesures légales continueront à être seules employées dans tous les travaux publics, le commerce en gros, et toutes les transactions commerciales. Le système légal sera aussi seul enseigné dans les écoles publiques ". Il s'agit de " mesures simplement tolérées ", portant toujours l'indication de leur correspondance en valeurs métriques, et dont l'usage devra faire l'objet d'un nouvel examen dans un délai de dix années.Ce système de " mesures usuelles " prétendait faire accepter le système métrique en le replaçant dans un cadre " familier au peuple ", mais ce cadre n'était familier qu'aux habitants de la Région parisienne.
Toutefois, en juillet 1814, le Ministère de l'Intérieur suscita une décision rapide du roi Louis XVIII: " L'établissement du système métrique sera continué sur le plan qui a été suivi jusqu'à présent ".
Ainsi, à partir de 1812 et jusqu'en 1839, les marchands ont pu utiliser :
- Une toise de 2 mètres, se divisant en 6 pieds ; le pied valant ainsi un tiers de mètre, se divisant en 12 pouces, le pouce en 12 lignes.
- Un boisseau de un huitième d'hectolitre, ayant son double, son demi et son quart.
- Une aune de 120 centimètres, se divisant en demis, tiers.
- De plus la " livre " équivalait à environ 489 grammes en 1789, puis à 1000 grammes en 1800 et 500 grammes en 1812.
Un arrêté du 21 février 1816 rend obligatoire et exclusif pour la vente au détail de toutes les denrées et marchandises l'emploi des mesures usuelles (aune, boisseau, .). Cette fois Napoléon 1er a renoncé au système décimal, a abandonné la base 10 pour les sous-divisions : moitié, quart, huitième !
Il régna aussitôt en France, une confusion extrême dans le pesage et le mesurage.
Heureusement, l'élite de la nation réagit. Les écoles continuent à enseigner le système métrique et l'arrêté de 1816 est abrogé en 1825, un " Recueil d'instructions sur les poids et mesures " paraît en 1827, et le 24 avril 1833, dans une circulaire, Thiers, alors ministre du commerce et des travaux publics, constate que si le système a progressé, l'usage des mesures usuelles semble entraver son application. Il reconnaît que certains vérificateurs, mal formés font mal leur travail, ., il demande aux préfets de prévoir des tournées de surveillance après celles de vérification.
L'exposé des motifs d'un projet de loi en 1837 comportait le passage suivant :
« Le moment semble venu où la révocation des concessions faites en 1812 peut avoir un salutaire effet. Le peuple est aujourd'hui plus instruit ; le système métrique, qui a continué à être enseigné dans les écoles est généralement connu ; l'instruction primaire qui prend un si vaste développement le fera connaître avec bien plus de soin, et aux plus pauvres, dès qu'il sera constant qu'il est remis en vigueur . Tout indique qu'en rendant le système métrique obligatoire partout, et pour tous, en interdisant l'usage de tout autre système, la loi nouvelle n'exigera rien d'impossible, et établira définitivement l'uniformité des poids et mesures ».
La réhabilitation : la loi du 4 juillet 1837
Le Parlement adopta le projet, qui devint la loi du 4 juillet 1837 :
«...à partir du 1 janvier 1840, tous poids et mesures autres que les poids établis par les lois des 18 germinal an III et 19 frimaire an VIII, constitutives du système métrique décimal, seront interdits sous les peines portées par l'article 479 du code pénal ».
La loi du 19 frimaire an VIII, qui avait fixé la longueur définitive du mètre, et adopté comme étalons définitifs le mètre et le kilogramme déposés aux Archives, prévoyait également à son article 4 la frappe d'une médaille. Celle-ci ne fut réalisée qu'après promulgation de la loi du 4 juillet 1837, grâce à un mécène lyonnais, M. Gonon qui fera graver la médaille commémorative portant l'inscription souhaitée par la Convention pour montrer le caractère universel du système métrique : A TOUS LES TEMPS, A TOUS LES PEUPLES.
Signalons que le système métrique décimal avait été adopté par la République helvétique en 1803, les Pays Bas en 1816, et par la Grèce en 1836.
Ce n'est qu'après l'adoption de la loi du 4 juillet 1837 que le gouvernement fit de véritables efforts pour généraliser la connaissance à l'étranger du système métrique en provoquant des échanges d'étalons de mesure avec un grand nombre de pays.
C'est surtout à l'occasion des expositions universelles ( Londres 1851; Paris 1855 et 1867 ) que les avantages du système métrique commencèrent à être appréciés à l'étranger : autorisation en Angleterre : bil en date du 9 juillet 1864 ; le Reichstag l'introduit en Allemagne : 15 juin 1868.
L'association géodésique internationale, émit le souhait de voir se réaliser la construction "d'un prototype étalon du mètre".
Le gouvernement français (Napoléon III) invita à Paris les savants délégués par leurs pays : 24 gouvernements acceptèrent. La réunion des délégués fut fixée au 8 août 1870. Mais en raison de la guerre franco-prussienne, cette commission dut ajourner ses travaux. Ils reprirent du 24 octobre au 12 novembre 1872. La Commission adopta le principe de déduire la longueur du nouveau prototype à traits du mètre de celle de la règle déposée aux Archives de la République.
Le prototype du mètre est une règle, dont la section a la forme d'un X à talons, comportant une ligne axiale (fibre neutre) ni tendue ni comprimée (selon la théorie des moments de flexion) quand la règle est légèrement fléchie, et qui conserve la même longueur de 102 centimètres, sur laquelle deux traits transversaux marquent les extrémités de l'unité. Elle a été imaginée par Henri Tresca, professeur de mécanique au CNAM. Henri Sainte -Claire Deville (1818- 1881) choisit le platine iridié : alliage inaltérable, homogène, dur, au coefficient d'élasticité élevé (voisin de celui de l'acier), apte à recevoir un beau poli.
La première conférence générale des poids et mesures se réunit à Paris en septembre 1889. Les prototypes internationaux furent placés le 28 septembre 1889, dans le dépôt souterrain du Pavillon de Breteuil...où ils sont toujours conservés.
Le mètre des temps modernes
Précisons que la définition du mètre à partir de la mesure du méridien (1795) permet d'établir sa valeur à quelques dixièmes de millimètre près, soit de l'ordre de 10-4 et rappelons que l'incertitude relative associée à l'Etalon International (1889) est de 10-7.
La 11ème Conférence générale des Poids et Mesures (octobre 1960) a donné notamment une nouvelle définition du mètre : " .longueur égale à 1 650 763,73 longueurs d'onde dans le vide de la radiation correspondante à la transition entre les niveaux 2 p10 et 5 d5 de l'atome de krypton 86 ".
Le Comité international des Poids et Mesures indique une précision de 10-8 à propos de l'unité de longueur.
Le décret n° 61-501 du 3 mai 1961 est le texte fondamental relatif aux unités de mesure.
- Décret n° 61-501 du 3 mai 1961 modifié* relatif aux unités de mesure et au contrôle des instruments de mesure (JO du 20 mai1961 et rectificatif au JO du 11 août 1961)
- *modifié par : décret n° 66-16 du 5 janvier 1966 (JO du 7 janvier 1966),
- décret n° 75-1200 du 4 décembre 1975 (JO du 23 décembre 1975),
- décret n° 82-203 du 26 février 1982 (JO du 28 février 1982), abrogé par décret n° 2002-460 (JO du 6 avril 2002),
- décret n° 85-1500 du 30 décembre 1985 (JO du 3 janvier 1986), abrogé par décret n° 2003-165 (JO du 1er mars 2003),
- décret n° 88-682 du 6 mai 1988 (JO du 8 mai 1988), abrogé par le décret n° 2001-387 (JO du 6 mai 2001),
- décret n° 2003-165 du 27 février 2003 (JO du 1er mars 2003.)]
La 17ème Conférence générale des Poids et Mesures a choisi en 1983, une nouvelle définition du mètre qui devient :...
« la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant 1/ 299 792 458 ème de seconde ».
La réalisation du mètre peut atteindre ainsi une exactitude relative de 10-10 ou 10-11 .
Ainsi, les conceptions initiales des fondateurs du système métrique ont été respectées : le mètre étalon est naturel, invariable, reproductible en tous temps et tous lieux et ne renferme rien de particulier à aucun peuple.
Denis Février
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Mis à jour le 01/06/2021